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Pourquoi Galileo n’est pas près d’arriver dans nos montres cardio GPS

Actuellement chez i-run

Lors de ma présence au CES 2018, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec de nombreux responsables produits de différentes marques de montres de sport. Invariablement, j’abordais à un moment ou à un autre de la discussion le sujet du système de navigation européen Galileo et de la pertinence de l’intégrer dans nos montres de sport GPS.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’enthousiasme qui règne parmi les utilisateurs sur la toile (vous avez été particulièrement nombreux à me demander d’aller gratter des infos à ce sujet) n’est pas partagé par les fabricants. Et pas seulement Garmin l’américain, mais l’ensemble des acteurs principaux du marché.

Surpris par ce manque d’intérêt flagrant, j’ai creusé encore et encore pour aller aller chercher les détails. De toutes ces discussions, voici ce qu’il en ressort principalement…

On s’intéresse plus à Galileo en Europe qu’ailleurs

Ce premier constat semble plutôt logique. Les marques européennes sont en général plus renseignées sur les possibilités offertes par Galileo, par les dates clés et les détails de la solution.

Les marques américaines sont bien moins au courant, certains de mes interlocuteurs sur le CES m’ont même demandé si le système ne fonctionnait que sur l’Europe ou si il serait également disponible dans certaines autres parties du monde. L’un d’entre eux m’a demandé à l’armée de quel pays le système appartenait…

Les rares interlocuteurs chinois avec lesquels j’ai eu l’occasion d’échanger m’ont dit ne pas vraiment s’intéresser au système, lui préférant le GPS et Beidou (le système de géo-positionnement chinois en cours de déploiement). On peut imaginer que les entreprises chinoises préfèrent caresser leur gouvernement dans le sens du poil en utilisant leur propre système, même si il n’est pas encore opérationnel au niveau mondial

Une constante: les nouveaux chips sont “Galileo ready”

Tous les interlocuteurs orientés technique que j’ai eu en face de moi m’ont clairement dit que les trois fournisseurs majeurs du marché de puces GPS (Mediatek, Qualcomm et uBlox) leur fournissent des puces qui sont déjà potentiellement compatibles avec Galileo et les autres nouveaux systèmes de géo-positionnement. Mais pour autant, avoir une puce qui permet de le faire ne veut pas dire que le travail est terminé. De nombreux autres facteurs entrent en jeu…

La précision au détriment de l’autonomie

La première problématique lorsqu’on parle de géo-positionnement dans une montre de sport consiste à trouver un bon équilibre en maintien de la précision de la localisation et l’autonomie de la montre. En effet, ce sont deux des caractéristiques sur lesquels les acheteurs de montres de sport sont les plus exigeants et regardants: la montre doit proposer une trace GPS et une mesure de la vitesse impeccable, mais l’autonomie est de plus en plus importante à leurs yeux en parallèle. Les épreuves dites “ultra” attirent de plus en plus, de participants et ces dernières exigent des montres à l’autonomie record.

Hors si il est une fonction sur une montre de sport qui consomme de la batterie, c’est bien la géo-localisation… Et on sait aujourd’hui qu’en multipliant les sources de données (GPS, Glonass, Galileo, Beidou…) on multiplie également la consommation électrique de la montre.

La précision au détriment de l’encombrement

L’autre grand problème est lié à la taille de l’antenne. Plus nos montres de sport sont petites, plates et compactes, moins il y a de la place pour y mettre une antenne efficace. Ce document édité par uBlox, le fabricant de puces GPS, explique en détail qu’est-ce qui constitue une bonne antenne GPS. Parmi de nombreuses explications techniques, on retrouve ces ceux phrases:

A smaller antenna will present a smaller aperture to collect the signal energy from sky resulting in a lower overall gain of the antenna. This is the result of pure physics and there is no “magic” to get around this problem. Amplifying the signal after the antenna will not improve the signal to noise ratio

Ce que l’on peut traduire par:

Plus l’antenne est petite, plus sa surface est réduite, moins elle sera en mesure de reçevoir un bon signal. C’est un résultat purement physique, il n’y a pas de “magie” là-dedans. Amplifier un signal faible ne l’améliorera pas significativement.

Puis ensuite:

Patch antennas of 25mm by 25mm show optimal performance and are cost-efficient. Patches smaller than 17mm by 17mm tend to demonstrate moderate navigation performance. Performance is dependant on the ground plane size.

Qui se traduit grossièrement par:

Les antennes “patch” (plates) de 25x25mm montrent les meilleurs résultats et présentent le meilleur rapport qualité/prix. Les antennes “patch” plus petites que 17x17mm montrent des performances très moyennes. La précision est dépendante de la surface de l’antenne.

Pour bien se rendre compte, j’ai posé sur ma fenix 5S un carré de 2.5cm de côté, ce qui constituerai l’antenne de la surface idéale. Elle utilise une très grande partie de la surface disponible… Même la technologie EXO de Garmin ne permet pas d’atteindre une telle surface:

Et ci-dessous, un carré de 1.7cm de côté, ce qui devrait être la surface minimum:

Le même document parle ensuite d’antennes plus réduites encore (chip antenna) mais le problème avec ces dernières, c’est qu’on doit les isoler de signaux parasites. Difficile dans un environnement aussi compact. On se rend bien compte que placer de manière optimale une antenne dans la montre est impossible, sachant qu’il faut encore loger dans le boitier une batterie, le circuit électronique de la montre, le circuit électronique du capteur de FC optique, l’électronique de contrôle de l’écran…

La multiplication des sources de géo-positionnement pourrait aider dans une certaine mesure, mais pas transformer une montre extrêmement compacte en un récepteur GPS parfait. La marge d’erreur liée à la taille de l’antenne restera, quel que soit le système utilisé.

Le gain réel par rapport à l’investissement nécessaire

Le nerf de la guerre au final reste l’argent, et investir dans le développement de nouvelles fonctionnalités doit pouvoir être transformé en avantage marketing pour mettre en avant un produit ou se démarquer de la concurrence.

L’approche est différente selon les marques interrogées, mais globalement j’ai noté les discours suivants:

  • Chez Suunto: Lorsque les puces que nous utilisons seront efficaces en terme de gestion de l’énergie et que l’on aura une consommation comparable en utilisant Galileo et GPS par rapport à l’actuel GPS + Glonass, nous pourrons envisager de passer à ce système si cela améliore la précision et ne nécessite pas de trop grands changements dans nos algorithmes de correction logicielle de la trace GPS.
  • Chez Garmin: Nous avons travaillé très fort ces dernières années à développer une nouvelle antenne spécifiquement conçue pour fonctionner de manière optimale avec GPS et Glonass (on peut la voir dans cet article qui dissèque physiquement une fenix 3). De plus, nous travaillons à des algorithmes de post-processing du signal GPS qui optimisent le positionnement. Intégrer Galileo à tous ces éléments techniques n’est pas une chose facile. On va y réfléchir et l’intégrer petit à petit dans certains appareils si cela se justifie (par exemple, Garmin a lancé le Foretrex 601 qui est déjà compatible Galileo)
  • Chez les autres acteurs: (en résumé) nous allons voir ce que propose le marché, et décider ensuite si il est opportun de suivre le mouvement.

Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ?

Sur l’ajout de Galileo dans les montres existantes

Au vu de l’aspect technique mais aussi de cet argumentaire ainsi que de la réserve montrée, on peut en tirer les enseignements suivants:

  • Depuis l’année 2016, nos montres cardio GPS sont pour la plupart équipées de puces GPS qui pourraient exploiter les signaux de Galileo.
  • Pour autant, cette possibilité nécessite au moins d’ajouter du code dans le contrôleur de la puce GPS, et probablement aussi dans le post-processing du signal pour le traitement par la montre.
  • L’effort ne permettrait pas forcément de vendre plus de modèles existants, et priverait les prochains modèles d’un argument de vente intéressant.

De ce fait, il n’y a quasiment aucune chance de voir arriver des mises à jour qui activeraient Galileo sur des montres sorties sans le supporter.

Sur le support de Galileo pour les futures montres

il faudra encore un peu de temps pour que cette technologie arrive dans nos montres. Pour qu’elle s’impose, il faudrait qu’elle présente des avantages significatifs par rapport au GPS utilisé actuellement, soit en précision, soit en consommation electrique. Hors ces deux aspect vont lentement évoluer au fil de l’expérience acquise par les fabricants.

Les montres des fabricants européens sont vraisemblablement plus susceptibles d’arriver rapidement avec la possibilité de support de Galileo, ayant un public cible plus sensible à cette question que le reste du monde.

Mais après mon retour de CES 2018 et après de nombreuses discussions à ce sujet (certaines même durant des sessions de course à pied avec les responsables du développement produit chez Suunto), l’optimisme sur l’arrivée prochaine et massive de cette technologie a été quelque peu douchée à l’eau froide…

Qui vivra verra, et soyez sûr que je continuerai à suivre ce dossier de près.