Focus

Déconnectées, que valent nos montres cardio GPS?

Actuellement chez i-run

Après l’attaque informatique qui a visé Garmin à la fin du mois de juillet 2020 et qui a paralysé l’ensemble des services en ligne de la marque durant 4 jours (et donc certains sont encore en cours de rétablissement plus d’une semaine plus tard), je me suis posé la question de savoir quelle aurait été la situation si cela se produisait chez un autre acteur du marché. J’ai donc analyse le fonctionnement des applications et de la synchronisation des montres de Coros, Suunto et Polar, après le test grandeur nature de Garmin pour savoir si certains acteurs se seraient tirés avec moins de dégâts d’une mésaventure similaire.

Comment tester l’indisponibilité de services en ligne ?

Il y a certaines choses difficiles à tester ou à démontrer avec les montres connectées. Mais la mise hors ligne de toute l’infrastructure web derrière les apps mobiles et les plateformes en ligne sont assez faciles à simuler: il suffit de désactiver les données mobiles et le wifi de son smartphone ou de son ordinateur.

Pour procéder à mes investigations, j’ai utilisé un smartphone Android, avec les apps de Garmin, Polar, Suunto et Coros installées et une montre de chaque marque configurée et couplée sur le téléphone. Ensuite, j’ai réalisé une séance d’entrainement avec chaque montre, puis j’ai tenté de synchroniser les données d’entrainement, avec le téléphone hors ligne.

Ensuite, j’ai tenté différentes opérations telles que configuration d’entrainements fractionnés et envoi sur la montre, ou envoi d’itinéraires à suivre sur la montre.

Les montres qui m’ont permis de réaliser ces tests sont les suivantes:

  • Coros Vertix. Son fonctionnement est identique au autres montres de la marque et doit être représentative à ce niveau de tout les autres modèles de Coros.
  • Polar Grit X. Elle fonctionne de manière identique pour la synchro aux Vantage V et M.
  • Garmin fenix 6. La plupart des montres de sport de Garmin on un fonctionnement assez proche, mais de petites différences peuvent exister entre modèles. Les bracelets connectés de la marque par exemple ont un fonctionnent différent.
  • Suunto 9. Couplée à l’app Suunto, elle se comporte comme une Suunto 5. Il est possible que les autres générations (Spartan, Ambit…) fonctionnent différemment en mode hors ligne.

Une dépendance forte aux services en ligne

Avant de passer aux résultats obtenus, il y a une chose très frappante: bien que certaines choses fonctionnent chez certaines marques en mode hors ligne, le fonctionnement des apps est toujours fortement limité, moins confortable et moins complet que lorsque les services en ligne sont disponibles.

Cela ne surprendra personne, aujourd’hui une montre connectée (son nom est déjà un message très clair) est par nature fortement dépendante de services en ligne.

Je le martèle depuis longtemps: choisir une montre, c’est aussi choisir son écosystème logiciel et la politique de gestion de cet écosystème par la marque. Le matériel aujourd’hui ne peut plus être dissocié du logiciel qui l’accompagne. Pour le meilleur, la plupart du temps, mais parfois pour le pire…

De l’importance de pouvoir exporter au moins ses données d’entrainement

Il n’y a pas que l’indisponibilité temporaire de Garmin Connect au cours de l’attaque informatique de ce mois de juillet qui doit alerter par rapport au besoin de pouvoir faire un minimum sans les services en ligne. Car si l’on choisit une montre cardio GPS, on fait en général un investissement pour quelques années d’entrainement. Lors du dernier sondage de la communauté de nakan.ch, les lecteurs ont indiqué ne pas changer de montre sur base régulière. Seule une minorité change tous les ans ou tous les deux ans sa montre. On cherche donc la durabilité.

Une histoire récente qui contient des passages difficiles

Et la pérennité du logiciel est une partie importante de la durée de vie de la montre. Dans l’histoire récente, voici quelques faits qui méritent d’être cités:

  • Garmin a revu plusieurs fois l’interface de Garmin Connect. Mais un appareil aussi vieux que mon Edge 205 peut toujours fonctionner aujourd’hui avec la plateforme actuelle. Et c’est le cas de quasi 100% des produits de sport de Garmin vendus depuis le début des années 2000, moyennant la connectique nécessaire (dongle ANT+, câbles spécifiques…)
  • Polar avait fait grand bruit en annonçant en 2017 l’abandon de la plateforme en ligne Polarpersonaltrainer, qui était utilisée pour tous les produits de la marque avant l’arrivée de Polar Flow. La disparition de PPT signifiait la fin de la synchronisation des données de tous les modèles sortis par Polar jusqu’à la RC3 GPS. La grogne des utilisateurs avait finalement permis de retarder la fermeture du site de près d’un an et demi, mais le service a bel et bien fini par disparaitre…
  • Plus récemment, Suunto a annoncé la fermeture de son emblématique Movescount. Aussi bien l’application mobile que le site web sont remplacés par la Suunto App et le portail en ligne Sports Tracker. Bien que Suunto ait fait en sorte de pouvoir passer à la nouvelle app même pour les modèles un peu plus anciens (pas tous), le niveau fonctionnel de la nouvelle app était pour le moins limitée par rapport au regretté Movescount…
  • Du côté de Coros, la marque est encore jeune et ne traine heureusement pas d’historique à ce niveau là. Le choix de Coros est unique entre toutes les marques leaders de ce marché spécifique: seule une app est disponible pour analyser ses données.

Plus d’app signifie souvent la fin de la montre liée

Avec les fermetures des anciennes plateforme de Polar et de Suunto, ce sont des centaines de milliers de montres qui étaient encore utilisées par des sportives et des sportifs qui se sont retrouvées inutilisables. Chez Polar, la fermeture de polarpersonaltrainer a mis à mort les RC3 GPS, RCX3, RCX5 ou encore la RS800CX. Chez Suunto, les séries Ambit 1 et 2 et certaines fonctionnalités des Ambit 3 et dérivées se voient coupées.

Lorsque cela arrive, conserver sa montre signifie très souvent réduire ses fonctions au minimum, il est bien souvent impossible de simplement exporter ses données d’entrainement…

C’est pourquoi il est important lors du choix de sa montre de savoir à quel point elle est dépendante des services en ligne.

Les résultats du test de mode hors ligne

Après ces discussions, voici arrivé le moment du débriefing. Sans plus attendre, je vous propose un tableau qui regroupe les informations essentielles du fonctionnement en ligne (ou non) des différentes fonctions sur les montres testées:

Garmin fenix 6Coros VertixSuunto 9Polar Grit X
Synchronisation avec l'app hors ligneNonOui (1)Oui (1)Oui (1)
Analyse de l'entrainement dans l'app en mode hors ligneNonOuiOuiOui
Export des données en FIT ou TCX depuis l'app en mode hors ligneNonOuiNonNon
Export des données FIT ou TCX par un autre moyenOui (USB)NonNonNon
Envoi de parcours sur la montre depuis l'app en mode hors ligneNonOuiOui (2)Oui (2)
Envoi de parcours par un autre moyenOui (USB)NonNonNon
Envoi d'entrainements par intervalles depuis l'app en mode hors ligneNonNonn/aOui
Envoi d'entrainements par un aute moyenOui (USB)NonNonNon
Synchronisation des données d'activité quotidienne avec l'app hors ligneNonOuiOuiOui
Modifier la configuration des pages de données des profils sportifsOui (sur la montre)Oui (via l'app hors ligne)Oui (via l'app hors ligne)Oui (via l'app hors ligne)
(1) Dans la plupart des cas, la trace GPS et le fond de carte ne sont pas disponibles
(2) Le parcours doit déjà être présent dans l'app

Garmin fenix 6

Est-il utile de détailler le fonctionnement d’une montre Garmin après l’incident de la semaine passée? En gros, la plateforme en ligne de Garmin est la plus dépendante des services en ligne. Si la plateforme tombe, l’app ne sert plus à grand chose, hormis envoyer les notifications du téléphone à la montre.

Pour le reste, Garmin est sauvé par la conception matérielle de ses montres qui se comportent comme un périphérique de stockage USB dans la plupart des cas. La montre est donc reconnue comme une clé USB par l’ordinateur et il est possible de récupérer les fichiers d’activités comme je l’explique dans cette vidéo:

Au travers d’autres outils tiers, il est aussi possible de créer et de copier manuellement sur la montre des fichiers d’entrainements par intervalle.

Conclusion sur les services de Garmin: La conception de la montre est pensée pour un usage autonomie loin de l’app pour une utilisation de base. Cela est louable, par contre, on voit que l’application en mode hors ligne n’est quasi d’aucune utilité. Elle ne permet même pas l’analyse d’une simple activité sportive.

Polar Grit X

La montre Polar s’est synchronisée correctement après une activité de Stand-Up Paddle alors que le smartphone était en mode hors connexion. Les données d’entrainement étaient consultables, hormis la trace GPS car le fond de carte ne pouvait pas être téléchargé.

Les données de pas, de calories et de fréquence cardiaque de la journée ont également été transférées à l’app mobile. Évidemment, en allant consulter Polar Flow depuis mon ordinateur, aucune de ces données n’y figuraient. Toutefois, le lendemain, lorsque j’ai remis le téléphone en ligne, l’app s’est synchronisée avec le service en ligne.

Conclusion sur les services de Polar: l’énorme point noir ici est l’absence de possibilité de récupérer les données d’entrainement pour les exporter dans un autre outil (Strava, TrainingPeaks ou autre logiciel). En effet, l’export ne peut être fait que depuis Polar Flow sur le web. On se retrouve donc prisonnier de cette plateforme, comme les anciens modèles l’étaient de Polarpersonaltrainer. Pour le reste, l’essentiel est assuré par l’app en mode hors connexion puisqu’il est aussi possible de configurer et d’envoyer un entrainement fractionné sur la montre.

Coros Vertix

L’environnement de Coros est simple: c’est une app mobile. Il n’y a rien à voir dans la mémoire de la monte connectée en mode USB à l’ordinateur ni plateforme en ligne. Mais l’application a fait le job minimal alors qu’elle était hors ligne. Analyse de séance et modification de la configuration des profils sportifs, ainsi que l’envoi de nouveaux itinéraires. Toutefois, la création d’entrainements par intervalles et l’envoi sur la montre semblent impossibles hors ligne.

Il a été possible depuis une séance dans l’app d’en enregistrer un fichier TCX ou FIT et de le récupérer sur le téléphone. Donc on peut si on le souhaite récupérer ces données pour analyse dans un autre logiciel ou une autre plate-forme.

Suunto 9

Chez Suunto, la montre se synchronise également avec l’app, et l’analyse de la séance d’entrainement est aussi possible. Les données d’activité quotidienne de la Suunto 9 ont également été synchronisées.

La modification des pages d’entrainement a été possible depuis l’app hors ligne. L’envoi d’un itinéraire aussi. Moins bien: l’export de données au format TCX ou FIT, bien que prévus dans l’app, ne semble rien faire lorsque l’app est hors ligne. Pas d’export vers d’autres app donc…

Une fois la connexion sur le téléphone rétablie, l’app a synchronisé en retour toutes les activités sur le site de Sports Tracker.

Conclusion

La dépendance fonctionnelle des services en ligne de nos montres cardio GPS n’est plus à démontrer. Mais cette dépendance ne se limite pas à nos montres de sport, comme j’aime à le reparler, il suffit de mettre son smartphone en mode avion et de voir les apps qui fonctionnent encore pour s’en rendre compte.

En règle générale, la balance bénéfices / risques pour l’utilisateur reste positive: un stockage de données gratuit, une sauvegarde gratuite et illimitée de ses données sportives et sans se soucier de devoir les synchroniser soi-même entre smartphone, tablette et ordinateur. De plus, la synchronisation automatique vers des services externes est aussi simplifiée.

Mais cela n’est pas non plus sans petits grains de sable dans les rouages. Arrêt, volontaire ou non, des infrastructures de la part d’une marque ou vol de données sont inhérent à ces données centralisées. Et cet article met en lumière le fonctionnement limité, tant en termes de fonctionnalités que du point de vue temporel… Car si une app mobile n’est pas régulièrement mise à jour, elle devient vite obsolète sur les nouveaux smartphones et leurs systèmes plus récents.

En principale leçon à tirer, je garde deux choses:

  • La première est que la plateforme logicielle et la politique de support de cette dernière par la marque doit être un élément à prendre en compte dans le choix d’un appareil.
  • Comme aucun système n’est totalement infaillible, je recommande de synchroniser les données de la plateforme principale de sa montre vers une plateforme tierces. Créer un compte gratuit sur Strava ou TrainingPeaks par exemple et configurer une synchronisation de ses séances sportives ne prend que quelques minutes. Et cela permettra de retrouver ses données d’entrainement dans le cas (certes peu probable) ou des données seraient perdues sur la plateforme de la marque de sa montre.

Tout cela en espérant bien sûr en premier lieu que tous les acteurs du milieu aient saisi l’occasion présentée ces dernières semaines pour évaluer leur propre infrastructure et éventuellement renforcé la résilience de leurs systèmes!